L'ATHENAEUM - Une revue internationale russe
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Yann-Ber Tillenon

 
LA RÉVOLUTION INDO-EUROPÉENNE

  Je suis originaire d’un petit peuple européen, le peuple breton. Il se situe en Bretagne, à l’extrême ouest de notre grand continent européen. Pendant des millénaires tous les Européens de l’est, du nord et du sud ont migrés vers l’ouest. souvent pour suivre simplement le soleil couchant. C’est pour cette raison que la Bretagne continentale est une Europe en miniature. Elle a aussi été un conservatoire de la tradition indo- européenne antique

  On y retrouve tous les types humains de l’Europe. Mais elle est aussi très européenne parce que de tradition impériale. Ceci parce que ses ancêtres étaient des Bretons romains débarqués sur le continent au 4e siècle. Ils voulaient rétablir le paganisme pour sauver l’empire romain chrétien et décadent. Mais le peuple breton à malheureusement subi depuis le 12 e siècle, l’influence française. Il a ensuite perdu l’indépendance totale de son État par la révolution rationaliste française.

  Cette révolution bourgeoise, matérialiste a produit la république et l’empire colonial français au 19e siècle. Par réaction dialectique le peuple breton à produit un mouvement politique et linguistique.

  Ce mouvement politique d’abord régionaliste et ensuite nationaliste à jeté les bases du fédéralisme européen. Il proposait, non pas un retour à l’ancien régime, mais une république fédérale, en réaction au centralisme totalitaire des jacobins français.

  Ce centralisme issu de l’église et du monothéisme chrétien a été destructeur de toutes les nationalités qu’il dominait. Mais surtout, le mouvement historique breton, l’Emsav, a permis de faire revivre la tradition polythéiste fédéraliste indo-européenne dont il était dépositaire.

  Dans mes différentes interventions, j’ai souvent mentionné le concept d’État breton et d’État européen. En effet, je pense que le conservatoire indo-européen qu’a été la Bretagne pendant des siècles, a aussi été un petit laboratoire de la révolution européenne depuis le 19e siècle.

  Ceci parce que le mouvement breton a produit une nouvelle langue indo-européenne moderne et qu’il a réactualisé l’ancienne vision du monde de nos ancêtres. Il a remis en vigueur la conception que nos ancêtres avaient de l’organisation d’un pays, les rôles différents de tous ses habitants et surtout le rôle de l’État.

  Pourquoi?... Je pense, comme tous les philosophes, dignes de ce nom, depuis la civilisation égyptienne que l’État incarne l’esprit d’un peuple, l’aspect métaphysique d’un pays. Il met en forme la « nature » physique, passive (nation) pour devenir la culture active, la « civilisation ».

  Une vision renouvelée de l’homme et du monde est en train de naître en Europe. Grâce aux recherches effectuées en breton moderne durant ce dernier siècle dans l’Emsav, le mouvement révolutionnaire breton, et de nombreux auteurs dans les Sciences Humaines et les Sciences Physiques.

  Ces chercheurs réintroduisent le sens du global, la vision systémique, l’Imaginaire et le Sacré dans les sociétés humaines. Paradoxalement, leurs travaux permettent de redécouvrir, par de nouvelles voies, la logique du Vivant dont parle la Tradition celtique en Bretagne et indo-européenne en général depuis des millénaires.

  Dans cette perspective, la Tradition ne serait pas seulement un ensemble de valeurs passées, donc dépassées, mais au contraire un facteur de renouvellement de notre vision du monde, apportant un “nouveau” sens à la vie

  Nous vivons en effet dans un monde et une Europe  matérialiste en pleine mutation. Elle est à la recherche de son identité et de valeurs nouvelles. Mais les nations européennes actuelles possèdent aussi la tentation nationaliste de se replier sur elles-mêmes.

  II semble donc important de comprendre comment L’Europe  est arrivée à  ce tournant historique. Pourquoi la Philosophie, qui était depuis 25 siècles, le moteur du progrès rationnel de L’Europe  est aujourd'hui incapable d’apporter un sens à des sociétés atomisées  et de plus en plus éclatées.

  Comme le dit François Chatelet : “La philosophie est en perte de vitesse par perte de crédit, par manque de confiance dans ses fins comme dans ses moyens.”

  Cette impasse philosophique, dans laquelle se trouve  notre Europe et le monde, est due en grande partie a un fossé qui existe aujourd’hui.  Il se trouve entre le discours philosophique devenu académique, abstrait, déconnecté de la réalité environnante d'une part, et le fait de vivre dans un monde qui s’accélère. Un monde où il devient vital de savoir évoluer, de savoir s’adapter aux circonstances.

  Ce monde subit de manière impitoyable, son incapacité à vivre des idéaux de paix, de fraternité et de justice. Nos contemporains en viennent à se demander si Dieu existe et si l’on peut encore parler d’une Sagesse. Ce qui leur permettrait de mieux assumer leur destin individuel et collectif.

  Les Sciences Humaines n’apportent qu’un maigre réconfort. Elles restent largement dépendantes d'une vision rétrécie de l'homme. Elles sont héritières des dogmes et idéologies qui se sont développées à partir des XVIIe et XVIIIe siècles en Occident.

  Un extraordinaire renouveau a été apporté depuis une vingtaine d'années par les découvertes de l’Anthropologie religieuse et le “nouvel esprit des Sciences”. Ceci nous est caché. Le décalage ne fait que s'accroître entre ce que l’on sait aujourd'hui scientifiquement de l'homme et ce qui continue à lui être enseigné.

  II est donc vital pour l’Europe que soit mieux connue cette convergence entre la Science contemporaine et la Tradition. Ceci afin de retourner à une certaine Sagesse. Ou tout au moins, de reconnaître humblement, comme le fit autrefois Socrate, notre ignorance devant l’immensité des choses.

  Étudions les mythes cosmogoniques relatant la création de l’Univers et de l’homme dans les différentes traditions. Ils nous montrent qu'il existait une vision mythique commune à toute l’Europe et toute l'humanité, depuis la Préhistoire.

  L'homme y était considéré comme un univers miniature, parfaitement intégré au cosmos avec lequel il devait vivre en harmonie.

  Selon la Tradition celtique et indo-européenne, l’homme est considéré comme un médiateur entre le Ciel et la Terre. Sa mission fondamentale consiste, non pas à se substituer au Démiurge, mais à entretenir sa Création. C'est le sens de toutes les conceptions “primitives” de l'homme, fondées sur une analogie entre l’homme et le cosmos.

  Afin d'être un parfait “canal”, jouer au mieux son rôle de médiateur, l’homme devait se purifier, se transmuter et devenir l’image la plus parfaite du Divin. La pensée européenne s’est conservée dans la tradition celtique mais aussi à travers l’hindouisme et le bouddhisme.

  Elle est une fidèle expression de cette conception de l’homme, de cette Sagesse traditionnelle plurimillénaire qui intègre l’homme dans le plan cosmique. Les sociétés traditionnelles d’Orient ainsi que le Moyen-âge chrétien ont su garder cette conception de l’homme. Mais c'est en Occident que se produit un “glissement”et que naît la Philosophie comme une réflexion sur le Mythe.

 
LA PHILOSOPHIE, OU LE NON-RETOUR AU MYTHE

  Tous les manuels d’Histoire de la pensée occidentale s’accordent pour souligner que c'est avec la Grèce des 6 e et 5ème siècles avant J-C que démarre l’aventure humaine qui conduira I’0ccident, avec des hauts et des bas, à la civilisation qu'il connaît aujourd'hui.

  Ce sont des circonstances uniques qui firent des Grecs du premier millénaire un peuple “pas comme les autres”. Mais nous ne sauront jamais s'il s'agit d'une volonté de la Providence ou d'un accident de l’histoire

  En effet, jusqu'alors et nulle part ailleurs depuis cette époque, ne s’est produit ce phénomène particulier d’un “non retour possible au Mythe”.

  L’invasion de l’Hellade par les Doriens, entre les 12ème et 8ème siècles avant J -C provoqua la désintégration des croyances religieuses primitives. L'univers mycénien avait su les garder, en maintenant un juste équilibre entre les puissances matricielles de la Terre et l’esprit fécondant du Ciel.

  Comme le dit Jean-Pierre Vernant, “la chute de la puissance mycénienne, l’expansion des Doriens dans le Péloponnèse, en Crète et jusqu'à Rhodes, inaugurent un nouvel âge de la civilisation grecque. Une distance insurmontable s’établit alors entre les hommes et les Dieux.”

  L’invasion dorienne provoqua la chute irréversible des institutions magico religieuses indo-européennes, qui ne furent remplacées par aucune institution équivalente.

  Si, dans l’Histoire, il est courant de voir des peuples s'envahir et se remplacer les uns les autres, généralement, les anciennes valeurs ressurgissent tôt ou tard, assimilées par les nouveaux, qui y ajoutent les modifications d’usage.

  Mais, avec I'invasion dorienne nous sommes en présence d'une coupure radicale, d’une véritable “table rase”, d’une situation de non-retour. Les nouvelles institutions publiques ne tinrent plus compte des mythes régulateurs, qui avaient assuré la pérennité des systèmes antérieurs.

  Une fois le Roi prêtre disparu, la distance entre les Dieux et les hommes ne fit que s’accroître, avec pour conséquence le développement de l'anthropomorphisme et de l'anthropocentrisme.

  Les religions des Mystères furent marginalisées au profit de la religion “sociale”. Les affaires publiques “gagnèrent” sur les affaires de l'âme.

  L'initiation ne prépara plus les futurs citoyens aux fonctions publiques : c'est la fortune qui établit dorénavant la qualification. Les épreuves des Mystères ne permirent à l'homme que de se préparer à une promotion dans l’au-delà.

  Nous constatons que cette rupture avec le monde traditionnel ne fut pas due à un changement imposé de l’extérieur, par exemple, l’apport d'une nouvelle technique, comme le fer ou l’invention du char, ou encore la découverte de la Science... Car, d'autres peuples ont intégré ces révolutions techniques sans pour autant connaître une telle rupture. II s'agit donc d'une mutation, d’un profond changement de mentalité, dû à la perte de compréhension des fonctions mythique et initiatique dans la société humaine.

  Dans l'histoire de l'humanité, selon les connaissances historiques dont nous disposons, c’est un phénomène tout à fait inédit : LA PHILOSOPHIE DÉTRONE LA SAGESSE, LA TRADITION VIVANTE.

  C'est une remise en cause des certitudes antérieure, une innovation dans la manière d'envisager I'homme et ses rapports avec l’univers.

  Nous n’étudierons pas dans le détail ce qui s’est passé à ce moment précis de l'histoire des Grecs pour provoquer une telle rupture, car cela nécessiterait un livre. Mais, nous devons quand même reconnaître que derrière un apparent “accident” de l’histoire, ce fut une étape nécessaire à l’évolution de l'humanité, durant  laquelle une partie de l'occident a pu confronter la Raison et l’Imaginaire.

  C’est donc dans une atmosphère de crise morale et de désacralisation, imprégnée encore de la cosmologie traditionnelle, que naquit la science grecque, et son “AMOUR DE LA SAGESSE”, exprimé dans les termes grecs “philosophein” et “philosophia”.

  La littérature post-socratique et notamment l’école platonico aristotélicienne, lui apportèrent le sens général de Science, ou plutôt celle de Science de la Connaissance.

  En effet, l’Antiquité classique assigna à la Philosophie la mission de fonder scientifiquement une théorie du monde et de la vie, là où la religion ne parvenait pas, ni totalement, ni partiellement, à satisfaire ce besoin.

  Parallèlement au développement de la philosophie, naît la “Polis”, la Cité grecque.

  "Ce qu'implique le système de la “polis”, c’est d’abord une extraordinaire prééminence de la parole sur tous les autres instruments du pouvoir. Elle devient l’outil politique par excellence, la clé de toute autorité dans l’Etat, le moyen de commandement et de domination sur autrui.

  Cette puissance de la parole , les Grecs en feront une divinité: Peitho, la force de persuasion.

  La parole n’est plus le mot rituel, la formule juste, mais le débat contradictoire, la discussion, l’argumentation.  Elle suppose un public auquel elle s’adresse comme à un juge qui décide en dernier ressort, à mains levées, entre les deux partis qui lui sont présentés.

  C’est ce choix purement humain qui mesure la force de persuasion respective de deux discours, assurant la victoire d’un des orateurs sur son adversaire.

  Un autre trait distinctif de la “Polis” concerne l’importance croissante accordée à l’écriture, pour le but d’appuyer et de fixer la parole. C’est la naissance de la publicité. Les rites sacrés, vécus jusqu'alors dans l’intimité, deviennent spectacles et, lentement, la scène provoque une scission entre les acteurs et les spectateurs. Le peuple ne participe plus : il devient donc une « masse ».

 
LA VOIE EXCLUSIVE DE LA RAISON

  Coupé de ses racines cosmiques, I’homme grec fit progressivement tomber dans l'oubli la deuxième partie de la fameuse maxime attribuée à Socrate. Gardant seulement le “Connais-toi toi-même”, il oublie l’univers et les Dieux.

  L'homme devint alors “la mesure de toutes choses” la référence ultime. La vision de l’homme choisie par la philosophie classique de l’Antiquité fut celle de “l’animal doué de raison”, guidé uniquement par son intellect.

  Ce réductionnisme fut à l'origine de la philosophie de l'optimisme et du progrès linéaire.

  ll y a ensuite séparation entre la Foi et la Raison. l’explosion de la Renaissance, le développement de la science mécaniste, ainsi que l’effondrement de certains dogmes religieux, persuadèrent les élites intellectuelles du 18ème siècle, les “illuminées des lumières”. Elles doivent être à la hauteur de la mission assignée par l'Antiquité. Elles ont donc pris le droit et le devoir d’”éclairer” l’homme sur le lien universel existant entre les choses. Elles doivent régler la vie de l’individu et de la société.

  Ainsi, la Philosophie de la Raison crut pouvoir s’émanciper définitivement du Sacré et de l'esprit religieux, et voulut s’ériger en Science suprême.

  C’est de cet optimisme éclairé que naquirent, dès le 18ème siècle, les courants modernes de pensée sociale et politique, qui, malgré leurs divergences, ont en commun l’héritage grec et son réductionnisme triomphant.

  Mais, “une semblable attitude, sûre d’elle-même, fut ébranlée par la philosophie de Kant, qui apporta la preuve de l’impossibilité d’une connaissance métaphysique du monde, à côté ou au-dessus des sciences particulières.

  La philosophie du 19ème siècle renonça donc à une connaissance totale du monde par la voie de la Raison, croyant fort injustement d'ailleurs, que si la Raison ne pouvait lui fournir cette connaissance, aucun autre moyen ne pourrait y parvenir.

  Elle réduisît alors la philosophie à une science de plus, indépendante des autres.

  Ainsi, les sciences remplacèrent la Sagesse Une et la philosophie métaphysique se réduisit à la capacité critique, fondement de la liberté et de tout jugement indépendant. La philosophie sortit de la vie et s’installa à l’Université.

  Les sciences expérimentales ont donc réduit le champ d’investigation du savoir aux phénomènes, et dans cette perspective réductionniste, l’idée apparut comme contrôlée par les faits.

  La philosophie, qui apparaissait jadis comme la recherche la plus rigoureuse du savoir, tomba sous  l'emprise du monde sensible. Elle fut remplacée par la science matérialiste, en tant que savoir. C’est pourquoi le développement des sciences et des techniques fait apparaître aujourd’hui la philosophie comme complètement dépassée.

 
LE DÉSARROI DE L'OCCIDENT

  Si la philosophie est conçue comme un “désir de savoir”, il est clair que cette attitude est intermédiaire entre l'ignorance et le  savoir, puisque le fait de savoir abolit la recherche philosophique comme nécessité, en la remplaçant par la Connaissance.

  Selon ce point de vue, la philosophie ne serait autre chose qu'un “état d'esprit” indispensable qui, telle une accoucheuse, nous ferait naître à la Sagesse.

  Mais, la Philosophie occidentale, ayant lentement restreint les directions du savoir, en le réduisant aux phénomènes et à la seule capacité de l’intellect, ne pu obtenir qu'une connaissance des apparences.

  Le lien avec l'ancienne Sagesse semble donc définitivement rompu.

  “Pour désigner ce mal intérieur qui lui est propre, l’Occident a forgé un mot nouveau insolite dans l’histoire de la pensée humaine : le mot INTELLECTUEL, comme s'il était possible que puisse exister un type d’homme réduit à son seul intellect.

  L’intellect pur, détaché de l'âme, signifie la mort de I'homme. L’intellect qui présume trop de soi, qui s'isole et se complaît dans l’orgueil, loin d'ennoblir l’homme, le  rabaisse et le dépersonnalise. Car il tue cette amoureuse participation à la vie des choses et des créatures dont l’âme est capable, seule, grâce à ses émotions et à ses intuitions. L’intellect en soi n'est que chose morte, et même meurtrière : c'est un commencement de désintégration.”

  L’homme occidental, aujourd’hui coupé de ses racines, seul avec sa raison abstraite, devient orphelin et, replié sur lui-même, lutte avec désespoir pour sa survie.

  Henry Corbin qualifie d’”anti-démiurgique” cette situation de I’0ccident:

  “Ce que nous appelons l’aventure occidentale, c'est cette application de l'intelligence à l’investigation scientifique d'une nature désacralisée qu'il faut violenter pour en connaître les lois et en soumettre les forces à la volonté de l’homme.

  Elle nous a menés là où nous en sommes : un prodigieux essor technique transformant les conditions de la vie ; il n'y a pas à le nier : le monde entier en est bénéficiaire. Mais en même temps, elle nous a menés à une situation que nous appellerons anti-démiurgique, en ce sens qu'elle est la négation de l’oeuvre créatrice puisqu’elle met l’humanité terrestre en mesure de détruire, d’anéantir son habitacle. Cette Terre dont elle tire son nom et sa subsistance. Oeuvre de néant et de mort qu’il faut regarder en face pour le dénoncer...

  La confiance avec laquelle l’Occident, au début du siècle, croyait encore, en développant la technologie aller vers le bonheur, vers le paradis, nous donne aussi aujourd'hui la mesure de son désespoir.”

  Ayant renoncé à l'Un, l’0ccidental ne peut que rester prisonnier du particulier.

  Nous ne devons pas nous tromper sur les origines de cette situation qui est ancienne. Déjà, la philosophie classique la contenait en germe. En effet, dès l’époque post-socratique, il fallait choisir entre “ceci ou cela”, quand en réalité, dans une vision globale celtique et indo-européenne traditionnelle, coexistent et se concilient l’un et le multiple, c’est-à-dire que les choses sont simultanément “ceci ET cela”.

  La Civilisation du “OU” était condamnée dès ses débuts. Aussi, un effort doit-il être fait aujourd'hui pour parvenir à la civilisation du “ET”, copulatif et synchronique, admettant unité et pluralité. C'est la Sagesse du CENTRE, symbolisée dans la tradition celtique par la voie du cœur, permettant d’acquérir un équilibre transcendant

  C'est à la redécouverte de cette sagesse universelle et atemporelle que nous convie le “nouvel esprit anthropologique”, dont les principaux représentants sont Ernst Cassirer, Rudolf Otto, Mircéa Eliade et Gilbert Durand.

 
LE RETOUR AU SACRÉ

  En effet, les études sur la Tradition effectuées depuis moins d'un siècle par les Anthropologues et les Historiens des religions révèlent que “Le Sacré est un élément dans la structure de la conscience et non un stade dans l’histoire de cette conscience.”

  Etre, ou plutôt devenir Homme, signifie donc “être religieux”.

  Ainsi, dès le tout début, l'homme fut confronté à un monde de significations qui était génétiquement et structurellement religieux. Ceci est vrai d’une manière générale, et non pas seulement en ce qui concerne les “primitifs”, les orientaux ou les présocratiques.

  La dialectique du Sacré a précédé tous les mouvements de pensée découverts par la suite et leur a servi de modèle. Ainsi, le développement de la philosophie occidentale a-t-il été un accident dans l’histoire de l'humanité. Cet accident unique porte en lui le danger de l’extinction de l'espèce humaine. Comme on peut le constater aujourd’hui.

  L’étude des manifestations du Sacré à travers les rites, les mythes et les symboles apporte une HERMÉNEUTlQUE particulière. Elle permet à la conscience de revivre des “situations paradoxales”.Elle procure une véritable transformation intérieure, ou conversion, du chercheur.

  Avec Mircéa Eliade, nous croyons que redécouvrir le caractère sacré de la vie et de la nature, permet un retour à la Sagesse.

  II s’agit d’un enracinement dans une vision renouvelée et éternelle de la réalité.

  Pour opérer ce “retour au sacré”, il apparaît nécessaire de pouvoir concilier la Raison et l'Imaginaire ; conciliation qui, comme nous le verrons par la suite, est un élément essentiel pour la mutation de nos mentalités.

 
CONCILIER LA RAISON ET L'IMAGINAIRE

  Harmoniser les contraires, concilier les “opposés”, concilier l’idée et le réel sont des attitudes méta philosophiques, c’est-à-dire une activité qui dépasse le royaume du concept. Elle permet d’intégrer l'intuition et l’intériorité qui se reflètent toutes deux dans l’Imaginaire. Et si la Raison s’exprime par le concept, l'Imaginaire le fait par le Mythe.

  “C’est le mythe qui instaure les valeurs, qui les nourrit, qui les protège, qui les propage. C'est lui qui communique la vie, lui qui apporte l’énergie, la créativité et même l’irrationalité” (l’éternelle bannie de la philosophie occidentale) “la mise de fonds irrationnelle sans lesquelles aucune raison ne deviendrait critique, faute de donnée à critiquer. Seule l’imagination, seule l'action inventent.

  La raison trie, élague, décante, la raison analyse (...) La raison délimite la part d’irrationnel que les peuples et les individus sont capables d’assimiler ou de “contenir”, c’est-à-dire d.équilibrer.”

  La conciliation de la Raison et de l’Imaginaire permet donc d’envisager une philosophie de la complémentarité, plutôt que de l’exclusion. et d’assumer les paradoxes éternels de la vie.

  Pour obtenir cette conciliation entre la Raison et l'Imaginaire, I’homme se doit de respecter certains principes, ce qui peut se vérifier tant dans l'approche traditionnelle que dans les nouvelles voies des sciences humaines ou physiques. Parmi eux, la “coincidentia oppositorum” des Romains et la recherche du centre peuvent nous  guider.

  La “Coincidentia Oppositorum”: Ni Dualisme, ni Monisme.

  Dans leur vision du monde, les sociétés “non philosophiques”, décrites par les ethnologues et historiens des religions ont comme point commun la cohabitation des paradoxes, où l’important est d'agir en fonction du principe révélé par Mircéa Eliade, celui de la “coincidentia oppositorum”, la “coïncidence des opposés”.

  Selon ce principe, l'équilibre naît des contraires, et toute chose peut être, en même temps, elle-même et son contraire.

  Mircéa Eliade rappelle en effet que “la médiation entre les contraires présente un nombre assez grand de solutions. II y a opposition, heurt et combat, mais en certains cas, le conflit se résout dans une union ou donne naissance à un “troisième terme”, tandis que dans d’autres cas, les polarités semblent coexister paradoxalement dans une “coincidentia oppositorum”, où elles sont transcendées, c’est-à-dire, radicalement abolies.

  L’antagonisme polaire devient le “chiffre”, par le truchement duquel l’homme dévoile à la fois la structure du Monde et la signification de sa propre existence.”

  Et c’est bien dans cet ordre qu’il faut le comprendre, du Cosmos vers soi-même. puisque. pour la vision traditionnelle, ce n’est pas l'homme qui donne un sens à I’univers, mais c'est Dieu qui, à travers la création, lui donne sa place et sa destinée.

  II serait  erroné de voir dans cette vision un “dualisme” religieux ou philosophique, puisque l'antagonisme des deux polarités n’implique pas l’existence du Mal, ni du “démoniaque”.

  En effet, la philosophie dualiste apparaît lorsque nous avons affaire à des paires d'opposés dans lesquelles les deux antagonistes ne s’impliquent pas mutuellement.

  C’est au moment où certains aspects négatifs de la vie, acceptés jusqu’alors comme éléments constitutifs et irrécusables de la totalité cosmique, sont jugés ou interprétés comme le Mal, donc non nécessaires, que l'idéologie dualiste apparaît. Avec elle, l’exclusion de la complémentarité, ouvre ainsi la porte à toutes les simplifications réductionnistes.

  Cette “coïncidence des opposés” n'implique pas non plus un point de vue “moniste”.

  Le monisme est un système philosophique réduisant la réalité à une seule chose, à une seule origine, que ce soit l’esprit ou la matière. La philosophie moniste, qui tente de s’opposer au dualisme mais qui exclut aussi le processus de “coïncidence des opposés”, porte en elle des pièges encore plus subtils que le dualisme.

  Le monisme, qu’il soit spiritualiste ou matérialiste, tombe dans un défaut opposé au dualisme ; il en vient à nier, ou du moins, à négliger complètement l’opposition esprit/matière ; on retombe dans l’erreur de l’esprit systématique.

  Le “non dualisme”, donc la vision pré socratique traditionnelle. diffère profondément du monisme en ce qu’il ne prétend aucunement que l’un des deux termes soit purement et simplement réductible à l’autre, tout au moins pendant la période de la manifestation. Par exemple. le plomb et l’or ne sont en aucun cas réductibles l’un à l’autre, car ils garderont toujours des qualifications différentes.

  De même, la vapeur et la glace ne possèdent pas les mêmes fonctions, même si elles peuvent se transformer toutes deux en eau. Alors que, pour le moniste, qui ne considère que l’équivalence en eau, vapeur et glace sont identiques.

  Le point de vue moniste ampute donc une partie de la réalité. Si le dualisme élimine la complémentarité au profit de l’opposition, !e monisme élimine toute opposition, donc tout paradoxe. Si le dualisme suscite le fanatisme et la guerre, le monisme risque d’éliminer la vie et avec elle, le sentiment.

  Le “non dualisme” évite ces deux extrêmes ; il envisage les deux termes simultanément, dans l’unité d’un principe commun, dans lequel ils sont également contenus, non plus comme opposés à proprement parler, mais comme complémentaires, par une sorte de polarisation qui n’affecte en rien l’unité essentielle du principe commun.

  Il est fondamental de comprendre que la véritable Métaphysique comporte une multitude de points de vue qui rendent compte de tous les aspects sous lesquels on peut envisager la vérité. Elle ne saurait donc être contenue dans les limites d’un système.

  C'est toujours le mystère d’une polarité qui constitue à la fois une bi unité et une alternance rythmique, qui se laisse déchiffrer dans les différentes “illustrations mythologiques, religieuses et philosophiques. Certaines de ces polarités tendent à s’annuler dans une “coincidentia oppositorum”, c'est-à-dire dans une UNITÉ-TOTALITÉ PARADOXALE”.

  Ce sont ces situations existentielles paradoxales (comme la simultanéité du jour et de la nuit, du visible et de l’invisible, du bien et du mal &c...) que la logique classique a du mal à vivre. Elle a donc préféré les considérer comme des oppositions irréductibles.

  Le choix de la raison comme unique voie de connaissance, a éloigné l‘homme du paradoxe pré socratique. L’incapacité de vivre des situations existentielles paradoxales, engendrée par la perte de la vision traditionnelle, lui a fait chercher des idéologies rassurantes où il est assisté et protégé au détriment de sa combativité individuelle, et de sa capacité à résister à la souffrance.

  C'est pourquoi l'excès de raison a rendu la nature humaine fragile et a fait naître l’idéologie bourgeoise.

 
LA RECHERCHE DU CENTRE

  Transcender les polarités, s’installer au cœur des couples de contraires implique de ne pas séparer l'un de l'autre, ni de choisir définitivement l'un ou l'autre.

  La conscience est alors libre de se placer dans un “tiers inclus”, au sein de l'”unité totalité paradoxale”.

  Il s’agit donc, grâce à la coincidentia oppositorum, de voir la vie toujours de l’intérieur, du centre, de l’”extrême centre”... Géométriquement c’est le sommet, le sommet de la pyramide…

  Les Européens ne sont pas de « gauche » OU de « droite ». Ils sont ET de gauche Et de droite. Les anciens militants bretons avaient pour devise : « Na ruz na gwenn, Breizhad hepken ! » (Ni rouge ni blanc, Breton seulement !)

  En effet, pour la vision traditionnelle, la conscience ne se situe pas dehors, mais au dedans des choses, et nos égarements ne font que signaler notre “excentricité”, c’est-à-dire notre perte du centre. Cette quête du centre est généralement appelée voie ésotérique ou “voie du dedans” par la Tradition.

  Toute vision traditionnelle véritable naît des “noces sacrées” entre les “puissances limitantes”, qui jugent (la raison critique) et les “puissances débordantes” qui créent (l'amour et l’imagination).

  Chez les Celtes et les Grecs, la tradition delphique présocratique avait symbolisé cette union par la complémentarité entre les Dieux Lug, Belenos ou Apollon, le limitateur, et Cernunos ou Dionysos, le débordant ; chacun en Grèce, régissait un fronton du temple qui gardait l’omphalos ou “nombril du monde”.

  La Tradition ne doit donc pas être considéré comme statique, ni dogmatique ; elle est vivante et différentielle. A l’image de l’omphalos de Delphes, elle est le centre ou le cœur, pont de liaison et d'émanation de tout ce qui existe.

  Contrairement a ce qu'ont supposé les penseurs de ces deux derniers siècles, cette vision du monde et de soi-même intègre la fonction critique de la raison, mais empêche le réductionnisme, grâce à la fonction débordante de l’Imaginaire.

  L’imaginaire permet de concevoir une réalité synchronique (mythique) et pas seulement chronologique (historique) comme la Raison. La Tradition régit l'univers subtil de la communication, non pas simplement au niveau de l'information et de l'analyse, mais surtout au niveau du “vécu”, qui reste essentiel pour que l’expérience puisse être assimilée complètement par la conscience.

  En réalité, comme le disait Lévy-Bruhl, “traiter les sociétés humaines primitives de “pré logiques”, en les comparant aux sociétés modernes, est une abusive simplification.”

  A la suite des recherches anthropologiques, nous pouvons constater que I’0ccident rationaliste a réellement commis une grave erreur en traitant les sociétés traditionnelles de “pré logiques”.

  L’erreur fondamentale commise par les tenants d'une explication psychologique de la vie collective primitive fut de formuler les problèmes anthropologiques en termes catégoriques, reprenant en cela la vieille logique classique.

  Ils ont utilisé des catégories superficielles de la psychologie, qui se sont elles-mêmes avérées inadéquates parce que partielles et exclusivement adaptées à la modernité, c’est-à-dire à “l’homme blanc occidental, adulte et civilisé”. Ils ont fait preuve d'ethnocentrisme.

  Les conséquences de cet ethnocentrisme sont immenses, car I’occident chrétien a exporté son modèle “philosophique” partout dans le monde et il se rend compte aujourd'hui qu'il ne pourra jamais mener qu’à une impasse.

  D'où une profonde remise en cause des valeurs de I'0ccident par I’0ccident lui-même C’est la fuite vers les pseudo paradis orientaux. C’est l’explosion d’une spiritualité qui cherche refuge dans n’importe qu’elle secte. C’est la recrudescence de la violence et de la peur dans les sociétés occidentales.

  Dans le même temps, grâce aux découvertes du “nouvel esprit anthropologique”, I'occident est de nouveau mis en contact avec un héritage pluri millénaire qui le fait revenir à plus de vingt-cinq siècles en arrière. S’agirait-il d’une simple régression à effectuer?

  Certainement pas, car cette aventure des vingt-cinq siècles derniers a enrichi l’Europe et l’humanité d'expériences extraordinaire. Il serait erroné de croire qu'elle ne fût qu’une digression inutile.

  Nous devons donc tirer profit de cette expérience pour construire le grand État fédéral européen de Brest à Vladivostok: sinon, nous courons le risque de voir la vieille Europe et la planète tout entière “céder au désespoir”.

  II ne s’agit pas d’annoncer l’apocalypse, ni de vivre le 21ème siècle avec fatalisme, ni de faire un quelconque réquisitoire contre la philosophie de I'occident chrétien, mais de comprendre, avec maturité, que l’on peut envisager UNE SAGESSE DES TEMPS NOUVEAUX, qui nous permette de nous améliorer, de nous transmuter, d’être à l’écoute, pas seulement de soi-même, mais surtout de “l'autre” et du Divin. Ce qui pourra alors être incarné dans la grande fédération européenne.

 
THE WHITE WORLD FUTURE
Texts  and documents of the conference
Moscow. June 8-10, 2006 >>>

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